Gundam Wing Fan Fiction ❯ Je t'ai suicidé, mon amour ❯ One-Shot
Je t'ai suicidé, mon amour
par Erynna
Je suis revenu près de lui le jour où je suis mort.
Etrange manière de commencer une histoire et pourtant, je ne vois pas de meilleur début à celle-ci. Car elle a vraiment commencé ce jour que je me rappelle avec tant d'acuité, l'espace nous enveloppant tous, sublime combat au milieu des étoiles, soldats offrant leur vie à la gloire du genre humain, sang, peine, douleur, explosions, et ses cris, et ses larmes...
Oui, il reste l'image la plus profondément ancrée dans ma mémoire, pas seulement une image, d'ailleurs.
J'ose dire que c'est pour lui que je me suis effacé.
Et que pour lui, je suis revenu.
* * *
A présent il est si tard dans la nuit, toujours ces mêmes étoiles qui semblent prendre un malin plaisir à tordre les fils de ma destinée jusqu'à la rupture. Il a laissé ouverte la porte-fenêtre de la chambre et je contemple, fasciné, les voilages se gonfler en une danse légère sous l'instigation de la brise nocturne.
La pièce est grande, somptueuse. Elle n'offre pas le luxe surchargé de mes anciennes demeures, mais une élégance à la fois sobre et raffinée, meubles de bois précieux aux silhouettes austères, tentures aux intrications d'or et de pourpre, rares bibelots plus fragiles que ses sourires... Car tout me le rappelle, comme s'il avait imprimé son corps et son âme en chacun des objets de cette pièce.
Il dort, minuscule forme dans le lit immense et vide, cheveux de soie contre oreiller de satin. On dirait un ange brisé par sa chute.
Un petit chat noir au pelage ébouriffé s'est lové contre sa hanche et s'étire dans l'inconscience de son sommeil.
Je voudrais le toucher, je voudrais l'aimer, le prendre dans mes bras et le couvrir de baisers, comme autrefois...
Consoler l'inconsolable, estomper les contours acérés de sa souffrance, si belle et si tragique.
A cause de moi.
J'aurai été, en quelques mois à peine, la cause de son éveil à la vie et l'assassin de ses espoirs.
Vous, les étoiles, faites qu'il me pardonne. Et plus encore, faites qu'il se pardonne.
Je m'approche de lui dans un vacillement d'ombre et de brume et laisse l'air ambiant écarter les fines mèches occultant son visage.
Ma beauté, mon âme sœur, ma seule étoile digne de mes prières...
Je dépose un fantôme baiser sur son front après l'avoir longuement observé, son souffle mourant de sanglots réprimés tout au long du jour et qui, la nuit venue, libère son chagrin.
Je m'efface, lentement, invisible mais toujours là, d'une manière ou d'une autre.
Je suis revenu.
Pour lui.
* * *
L'aube colore d'or pâle et de pastel les murs de la chambre tandis que le soleil pointe au-dessus de la lointaine forêt. Le vent de la nuit s'est assoupi pour ne devenir guère plus qu'un frémissement agitant les cimes des arbres couronnées de leurs feuillages d'été. La maison solitaire n'est entourée que de nature et de silence. Une route poudreuse sillonne à travers champs jusqu'à une allée négligemment entretenue et au bout de laquelle se dresse le bâtiment aux allures de triste manoir.
Oui, c'est la tristesse qui domine dans l'esprit du promeneur lorsque son regard se pose sur l'ensemble de la propriété. Le paysage environnant devrait atténuer cette impression ; au contraire, elle ne la rend que plus évidente.
Soleil irradiant de lumière, azur d'une aveuglante pureté, prés verdoyants...
Ce qui reste de mon cœur se serre à la pensée de ce spectacle rieur.
Tout, jusqu'à la plus infime poussière sur ce bord de route, reflète l'antithèse de son état d'âme.
Le chat noir remue un peu, puis laisse échapper un bâillement félin qui lui fait fermer les paupières sur ses iris dorés et retrousser les babines, découvrant des crocs fins comme des aiguilles. Une patte lisse les moustaches, un côté, puis l'autre, gratouillant les oreilles pointues au passage. Enfin il se lève et va nicher son minois contre l'épaule de son maître endormi.
Il insiste, le petit diable, quand il voit que ses efforts ne sont récompensés que d'un imperceptible gémissement ! Il pousse du museau, s'amuse avec la chevelure d'ébène étalée sur le coussin, appelle de ses miaulements aux accents plaintifs...
Une main s'élève alors paresseusement pour le chasser.
- Va-t-en...
Voix rauque, épuisée, altérée par le désespoir... chérie cependant, ô combien aimée, douce musique lorsque c'est mon nom qu'elle prononce...
Nouvel appel de la bête.
Il se tourne vers elle et la fixe de ses prunelles... puits de ténèbres où j'ai plus que jamais coutume de me noyer.
- Tu ne comprends pas ce que je dis ? fait-il en prenant le chat entre ses mains. Stupide animal.
Se redressant à demi, il le dépose par terre et retourne sous les draps.
* * *
Je le vois s'enfoncer un peu plus chaque jour dans les limbes de la dépression.
Il avait bien sûr des prédispositions, cela je le savais. Sa fragilité mentale était soigneusement consignée dans les fichiers et rapports que je recevais sur mon bureau, en des temps qui me semblent à présent si éloignés, si vains.
Fragile...
C'est exactement le mot qui lui convient aujourd'hui.
Fragile mon amour, mon tendre enfant que l'on n'a pas laissé grandir à son rythme.
Personne n'a daigné protéger ses sentiments ténus comme le fil de nos vies. On lui a donné une femme avant de la lui reprendre, avec la plus vile cruauté, des amis qui se sont évanouis, les uns après les autres, l'espoir d'un monde meilleur qui n'était que chimères, une justice qui n'a jamais été sienne.
Je lui avais fait une promesse.
Le protéger.
La seule... et je sens bien que je n'arriverai plus à la tenir.
Tu te détruis, mon amour, comme un feu trop ardent.
Et toutes ces émotions qui nourrissent tes flammes, chagrin, souffrance, confusion, dégoût... jamais elles n'auraient dû pénétrer ton cœur.
Ce déchirement qui te tourmente, cette déréliction dans laquelle tu t'abîmes, tu me les dois.
Pardonne-moi.
Il se tourne et se retourne dans ce faux sommeil qu'il a depuis longtemps cessé de chercher, repoussant les draps le long de ses membres. Le satin du tissu crisse contre le satin de sa peau. Tapi dans l'ombre, je dévore du regard ce corps que je ne peux étreindre.
Et je me souviens...
* * *
Ennemi, ennemi, qui me transperce de ses yeux noirs, indomptable, furieux !
Et moi, calme, lavé de toute peur, je m'avance vers lui, fleuret à la main, et accepte le défi.
La joute s'instaure, croisement des fers et péril qui s'attise...
Nous sommes tous deux au bord d'un gouffre, qui tombera le premier ?
Le sabre se fiche dans le sol, le fleuret dans ma main glisse sur une gorge lumineuse de sueur.
Mais qui est tombé ?
Tue-moi...
On ne tue pas la beauté, on la protège, on la chérit, on la vénère !
Tue-moi... déshonorant... inutile...
Oh amour, la beauté n'accepte ni le terme d'honneur, ni celui d'utilité.
La beauté est. Tout simplement.
Qui est tombé ?
Tue-moi... ou je te tuerai.
Mais je suis mort... je suis mort le jour où tu es venu à moi.
Je suis celui qui est tombé.
Il s'est enfui, se maudissant de sa faiblesse, de son échec, brisé par un combat dont j'étais moi aussi le vaincu, sans vraiment le savoir.
Deuxième rencontre.
Il s'introduit dans mes appartements, une nuit qui se veut comme tant d'autres. Je suis seul, absorbé dans le silence, l'attendant peut-être... qui sait ?
Je l'aperçois qui enjambe la fenêtre entrouverte d'un mouvement souple, une étrange grâce sublimant chacun de ses gestes.
J'étais déjà amoureux. Je le savais et ne le savais pas.
Mon nom tombe de ses lèvres telle une pluie d'or, teinté de haine et de défaite mais qu'importe, c'est lui et c'est moi.
Nous reprenons ce duel futile, si important pour lui et qui est seulement pour moi...
Quoi donc ?
Les prémices d'une lutte bien plus délicieuse ?
Un jeu de cache-cache avec un adversaire dont j'admire la fierté sans faille et la détresse latente ?
Une illusion de plus, destinée à masquer d'un beau voile les sentiments contradictoires que j'éprouve pour lui ?
Ennemi, ennemi, il me tient au bout de sa lame cette fois, je suis à genoux, vulnérable...
C'est lui qui s'est effondré.
Et qui, à son tour, est tombé.
Ennemis, ennemis, nous poursuivons notre combat...
Toujours les larmes, toujours la peine. Mais un plaisir naissant s'y mêle peu à peu.
Dans mes bras, entre les draps, il se tord sous moi, se donne et se refuse tout à la fois.
Mes caresses éperdues le dépouillent de ses vêtements, l'un après l'autre, ils tombent sur le sol, à moitié déchirés.
Mes baisers se font féroces, emplis de rage, je le veux, je le hais, je le désire !
Il est l'Autre, l'ennemi.
Du mauvais côté de la ligne de front.
Fort et frêle, sauvage et délicat, violent et presque abandonné.
Prêt à céder... les coups deviennent enfin quelque chose d'autre, effleurements timides d'abord, puis bouche qui se colle à la peau, langue venant goûter la chair...
Passionné.
Jamais il ne mérite tant son surnom de Dragon que dans ces moments-là. Je l'apprends peu à peu.
La lutte se fait danse, et je le meurtris à l'en faire hurler, je le mords, je le griffe, me fonds près de lui, contre lui, en lui... oh oui, en lui...
Le marque comme mien...
Partout...
Mes dents s'enfoncent dans le miel de sa chair.
Son cou, ses épaules, ses bras, son torse, ses reins, ses cuisses...
Tout en lui m'appartient, voluptueuse conquête... mienne à jamais.
Et plus profondément... plus sûrement...
Ancré en lui.
Douleur exacerbée en plaisir... plaisir s'accomplissant dans la douleur.
Acte désespéré, j'en ai pris conscience au fil de nos rencontres, impossible rapprochement entre deux âmes qui n'auraient dû être qu'une.
Nos unions nous rendent plus tristes et affamés encore.
Qu'étaient nos vies, alors ?
Mêlés l'un à l'autre, lui accroché à mon cou, la respiration haletante, ses longs cils sombres couchés sur ses pommettes, moi l'enlaçant le plus fort possible, appréhendant déjà l'instant de la séparation.
* * *
Ses yeux fixent à présent le plafond. Il rejette complètement le drap, dévoilant le galbe de ses jambes trop minces.
Je le suis tandis qu'il se lève et réprime l'envie frivole de remonter l'ample t-shirt qu'il porte pour la nuit et qui glisse sur son épaule, la dénudant d'une façon érotique, presque obscène.
J'attends qu'il ait terminé de se soulager dans la salle de bains, puis reprends ma silencieuse filature, ombre parmi les ombres.
- Oh, tu as faim ? murmure-t-il lorsqu'il sent la boule de fourrure se pelotonner contre sa cheville. Viens.
L'escalier de bois gémit sous ses pieds nus. Il traverse le couloir, pousse la porte de la cuisine et cligne des yeux, gêné par la blancheur du mobilier qui reflète la lumière matinale. Depuis plusieurs semaines, il ne daigne plus fermer les volets.
Je m'assois sur un tabouret, mu par une stupide habitude, et le regarde s'affairer près du plan de travail. Un bol de lait est bientôt déposé devant le chat qui se met à laper joyeusement son petit déjeuner.
Il ne prend rien.
Il demeure où il se trouve, légèrement appuyé contre la table, ses cheveux d'un noir d'encre tombant sur son visage, dissimulant ses traits de porcelaine.
La nourriture l'indiffère.
Il n'a plus goût à rien.
Je le détaille comme chaque matin depuis bientôt six mois.
Si las, si maigre, dépourvu de volonté de vivre, et si jeune... trop jeune. Tout, absolument tout est excessif chez lui.
Sa beauté, même si peu de gens savent la reconnaître.
Sa jeunesse, cachée avec soin derrière un calme et une sagesse apparents.
Ses faiblesses, qu'il hait pour tant de douloureuses raisons.
Sa force, aujourd'hui éteinte, qui semblait n'être qu'une malédiction...
* * *
Je sais que la scène se rejoue sans cesse dans son esprit, morceaux de métal brûlant se disséminant dans l'espace, mes dernières paroles résonnant inlassablement à ses oreilles...
Mon éternel ami...
Mon éternel amant, que j'ai laissé dans ce monde de chaos... tout seul.
Mes yeux se sont clos, ma tête a roulé sur le dossier du siège, mes mains ont desserré leur prise des commandes de pilotage...
Dernier soupir, dernière larme.
Je suis mort.
* * *
- Pauvre petit chat...
Il se fredonne ces trois mots et je me dis qu'en effet, c'est à lui-même qu'il se réfère.
Sa main caresse la tête de l'animal en un geste presque fébrile. Le chat laisse échapper de doux ronronnements et se frotte contre la paume de son maître, extatique.
- Pauvre petit chat...
Ses doigts se referment soudain sur la fourrure du cou et se mettent à serrer, serrer...
L'animal s'agite violemment sous la poigne de fer, feulant de douleur. Il se contorsionne tant et si bien que ses griffes viennent lacérer cette main qui finit par le libérer. Effrayé, il va se réfugier dans un coin reculé de la cuisine.
- Pauvre petit chat...
Il demeure agenouillé près du bol de lait, comme incapable du moindre mouvement. Je me penche vers lui. Son regard me bouleverse. Ce ne sont plus les siens, ces yeux qui s'ouvrent sur le monde sans le voir, ce n'est plus lui, cette créature blessée si profondément que rien ni personne ne pourra la guérir...
Qu'ai-je fait ?
* * *
C'était le seul moyen à ma portée pour faire cesser la guerre.
Eliminer le dernier obstacle à la paix...
Disparaître.
Cette décision, je l'avais prise pour lui. Pour qu'il puisse vivre enfin la vie qu'il méritait, celle dont il n'aurait jamais dû être privé, lui plus que tout autre.
J'aurais dû me douter que cela ne marche pas ainsi.
Ma mort n'a fait que précipiter sa chute.
Il s'est retiré dans cette maison éloignée de tout, rompant toute relation avec ceux qui avaient croisé sa route durant la guerre. L'héritage d'une colonie entière lui a permis jusqu'ici de mener une existence confortable, mais ce n'est qu'un détail dont il n'a que faire. Son unique compagnon est ce chat noir, gracieux et versatile, seule présence vivante véritablement acceptée.
Je me répète encore et encore que c'est pour lui que je suis revenu. Que c'est son incapacité à faire mon deuil qui m'a rappelé près de lui.
Notre amour - que nous n'avons jamais nommé ainsi durant les quelques mois qu'il perdura - a toujours été teinté d'immense détresse et de besoin destiné à ne jamais être satisfait.
Une aberration, une monstruosité engendrée par une rencontre fortuite.
J'aime l'être que j'aurais dû haïr de toute mon âme.
* * *
Il se relève avec lenteur, son regard erre sur les alentours, totalement perdu. Il ne semble pas savoir où il se trouve.
Mon fier et noble Dragon a disparu en même temps que moi, mais lui ne reviendra pas.
La matinée se tire en longueur comme toutes celles qui l'ont précédée et je demeure à ses côtés, mon âme liée à la sienne sans qu'il le sache.
Comme c'est dur... comme c'est dur d'être avec lui et malgré tout de ne pouvoir l'atteindre !
J'imagine la douceur de sa peau luisant sous les rayons du soleil. Je tends les doigts vers elle, je veux tellement la toucher... je brasse du vide.
Non. Je suis le vide.
Et je ne peux que faire semblant.
Mimer les caresses, parodier les étreintes, inventer la fragrance vanillée de sa chevelure et la fraîcheur de ses lèvres...
Je ne puis plus le supporter.
* * *
Alors je me demande.
Je suis revenu pour lui.
Pourquoi ?
Parce que son amour me retient auprès de lui ?
Ou bien est-ce moi ?
Moi qui me sens si seul sans lui, où que je sois.
Moi qui rumine ma culpabilité et mon échec.
Moi qui l'aime et le désire...
Car nous sommes tous des êtres égoïstes, que nous soyons hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux, riches et pauvres, héros et lâches. Malgré l'amour, malgré la haine, malgré les nobles sentiments qui nous animent, notre égoïsme finit toujours par l'emporter, et nous ramenons tout à notre propre personne.
Et tandis que je le vois mourir un peu plus chaque jour, tandis que germe en moi l'espoir fou de le voir me rejoindre, je commence à me dire que ce n'est peut-être pas pour lui... mais pour moi.
* * *
Couché sur un banc à l'ombre d'un vieil orme, les yeux fermés et les jambes à demi repliées, il semble s'être endormi. Sa respiration me paraît régulière, j'écoute avec révérence le souffle qui élève et abaisse sa poitrine, faisant saillir ses côtes sous son t-shirt. Sa tête repose sur ses mains jointes en une improbable prière. Il a fini de croire.
Je m'agenouille devant lui, mon amour que je m'apprête à achever.
Parce que je le veux avec moi.
Pour qu'il ne souffre plus.
Pour qu'il me pardonne enfin.
Pour qu'il me dise son amour pour moi.
Ces trois mots qu'il prononcera, je les choisis comme salut.
Ennemi, ennemi, sens le chant de ton cœur décliner...
Sans orage ni tempête, il est temps de rendre les armes.
Ennemi, ennemi, viens me rejoindre, et vivons dans la mort ce que la vie n'a pu nous offrir.
Ennemi... mon amour, laisse-moi finir ma tâche... et te suicider.
* * *
Il se fait tard. Les ombres s'allongent dans la maison comme de longs doigts qui se tendent. Le petit chat noir fait le tour des pièces à la recherche de son maître. Ses miaulements inquiets résonnent dans le silence.
Ayant parcouru les étages de long en large, il se décide enfin à sortir. En quelques bonds souples, il se retrouve au milieu des herbes folles, bien plus hautes que lui car n'ayant pas été coupées de tout l'été.
Poussé par son intuition animale, il se dirige vers le grand orme qui trône, vénérable et majestueux, à l'arrière du jardin. Ses oreilles se redressent et il presse le pas comme il décèle l'odeur de son maître. Il se faufile parmi les ronces et les fourrés, atteint enfin son but...
Un jeune homme repose sur le banc, sur son visage tombent de fins cheveux noirs.
On dirait qu'il dort.
~Fin~