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Pas encore un homme
Par Erynna
- Il ne peut pas être très loin, répétait Duo en mordillant sa lèvre inférieure.
Trois regards noirs se posèrent une nouvelle fois sur l'adolescent et lui intimèrent de se taire. Celui-ci haussa les épaules et continua son chemin, faisant de son mieux pour ignorer les remarques cinglantes qui lui montaient à la gorge.
Pourquoi fallait-il qu'il se retrouvât coincé avec trois icebergs ambulants ? Shinigami n'était pas tendre avec lui, ce soir-là. Il se retourna à demi et jeta un coup d'œil au groupe qu'il venait de dépasser. Heero scannait les environs de son regard d'aigle. Les mains dans les poches de son blouson, il serrait probablement son flingue entre ses doigts, prêt à faire feu au moindre bruit ou mouvement suspect. Trowa, de son côté, gardait son apparence impassible... mais Duo ne s'y trompa guère, devinant l'inquiétude du silencieux pilote au plissement des commissures de ses lèvres.
Il fut soudain tiré en arrière par le troisième, tandis qu'une voiture passait à toute allure à quelques centimètres de lui.
- Baka ! Tu cherches à te faire écraser ou quoi ? siffla le Chinois, bouillonnant de colère.
Un sourire moqueur étirant ses lèvres fines, Duo étreignit le garçon aux cheveux noirs en l'écrasant contre lui de toutes ses forces.
- Wu-man ! Mon sauveur ! roucoula-t-il en une étonnante imitation de Relena.
Heero lui-même ne put réprimer un frisson.
- Arrête ça, Maxwell ! protesta Wufei en le repoussant. J'aurais dû te laisser t'expliquer avec le bitume...
- Même si tu l'avais voulu, ton précieux honneur t'en aurait empêché, constata Duo.
- Kisama !
Ah, Chang Wufei n'était peut-être pas aussi ennuyeux que les deux autres, songea-t-il en contemplant la petite silhouette du pilote d'Altron s'éloigner d'un pas rageur. Il suffisait de l'embêter un peu, de « presser les bons boutons », et le garçon démarrait au quart de tour. Amusant, très amusant...
Son sourire s'estompa dès que ses pensées prirent un chemin plus sombre et il se hâta de rejoindre ses camarades.
Quatre avait disparu.
Les événements de la journée se rejouaient sans cesse dans son esprit, chacun de ses gestes, chacune de ses paroles tournoyant et s'entrelaçant dans le désordre jusqu'à l'ivresse. Il se souvenait de l'extrême concentration de Heero au moment de poser les bombes, des échanges muets entre Trowa et Wufei concernant l'étrange manque d'effectifs ennemis, le visage fermé de Quatre lorsque la base explosa dans un éclat de feu et de sang... et sa propre surprise quand ils se retrouvèrent face aux armées d'OZ, qui les attendaient sagement à l'extérieur.
Ils s'étaient mis à courir, éperdus, hors d'haleine, effrayés même si aucun ne l'avouerait jamais, se dérobant à leurs poursuivants, tuant si nécessaire.
Par quel miracle ils avaient pu rester si longtemps ensemble, il n'aurait su le dire. Quoi qu'il en fût, c'était ensemble qu'ils étaient parvenus jusqu'à ce quartier aux rues sombres et glauques, se faufilant à travers des coupe-gorge toujours plus étroits et dangereux.
Une grimace altéra ses traits comme un homme - ou peut-être une femme ? - frôlait la manche de son pull. La faune des environs était plus que bizarre, même pour lui. Dire que leur petite troupe détonnait parmi ces gens était l'euphémisme du mois (mieux valait ne pas prévoir sur le long terme ; depuis qu'il pilotait Deathscythe, sa vie était une surprise de chaque jour). Si Trowa avait refusé de se séparer de son bien-aimé col roulé, Heero en revanche avait délaissé son éternel Spandex pour des jeans et un blouson style aviateur, une antiquité selon toutes apparences. Même Wufei s'était dépouillé de son costume traditionnel, mais avait néanmoins refusé de porter une autre couleur que du blanc. Une vraie cible mouvante, en vérité. Lui-même avait tenu à conserver le noir de ses habituels vêtements... Il hocha la tête, légèrement nostalgique. Deux couleurs opposées mais véhiculant le même symbole, dans deux mondes différents.
Il se demanda brièvement pour qui Wufei portait le deuil. Car il avait ces vêtements depuis leur rencontre, bien avant la destruction de sa colonie.
Mmm... Blanc, noir... Yin, Yang... Deux principes antithétiques et pourtant complémentaires. Oh, si Trowa apprenait qu'il pensait à ce genre de connexion entre lui et Wufei, il pourrait dire adieu à sa tresse !
L'affection de l'Européen pour son partenaire asiatique était un secret de Polichinelle parmi leur équipe. Il n'y avait qu'à voir la manière dont ses yeux verts ne le quittaient pas une seule seconde, ou comme le moindre de ses gestes hurlait son désir de l'enlacer...
Dommage que Wufei soit en passe d'être maqué avec Sally, mon vieux, soupira Duo en son for intérieur.
Il était sincèrement navré pour l'adolescent, qu'il avait fini par considérer comme son ami même si leur relation était du genre fantomatique. Pour le moment, personne n'avait osé dire à Trowa que ses sentiments étaient mal placés et ne seraient jamais retournés. Un instant, on aurait pu penser que l'autre aurait volontiers accueilli la quasi adoration du grand pilote...
Avec tous ses « Onna ! », j'en passe et des meilleures, j'étais presque certain qu'il n'aimait pas les femmes... Comment ai-je pu me tromper ?
Heero et Quatre n'avaient pas eu ce problème. Jusqu'à quel point le cœur de l'espace les gardait liés l'un à l'autre, mieux valait peut-être ne pas le savoir.
Quatre...
Sa mémoire projetait à tous les coins de rue sa forme menue, enveloppée d'un manteau sombre qui cachait l'une de ces délicates chemises que le garçon semblait tant aimer. Il se dit qu'une chevelure aussi blonde et claire ne devait pas être difficile à distinguer dans ce coin de la ville, où la mode semblait prôner uniquement le noir.
Où était-il ? Comment avaient-ils pu le perdre de vue ?
Duo s'avoua à contrecœur qu'il n'avait remarqué l'absence du jeune Arabe que lorsqu'il avait voulu le questionner sur la direction à prendre.
C'était tout naturellement que Quatre était devenu leur leader, étant le seul à en avoir vraiment l'étoffe. Même si son aptitude au combat était inférieure à celles de ses partenaires, il possédait le charisme et la volonté d'un véritable chef ainsi que la capacité à regrouper les autres autour de lui.
Il sembla soudain au pilote de Deathscythe Hell que sans Quatre, ils étaient eux aussi perdus.
Comme une bête dont on aurait coupé la tête...
- On n'y arrivera jamais comme ça ! éclata soudain Heero d'une voix basse et désespérée. Il faut se séparer.
- Tu es sûr ? demanda Duo. Franchement, je crois pas que ce soit une bonne idée. Ce quartier n'a pas l'air d'un super endroit pour se promener tout seul, sans compter que les Ozzies sont à nos basques et ne décolleront pas tant qu'ils ne nous auront pas mis la main dessus...
- Tu as une meilleure suggestion ? coupa Heero. Non ? Alors on fait comme je dis.
Trowa agrippa brusquement l'épaule du Japonais, lui interdisant de les quitter.
- Duo a raison. Faisons deux groupes, ça limitera les risques.
* * *
- Kisama ! Arrête de me coller comme du vieux chewing-gum !
- Et si toi, tu arrêtais de rouspéter comme un voleur ! Change de disque, Wu-man !
- Ne m'appelle pas comme ça, MAXWELL !
- Je croyais t'avoir dit de CHANGER DE DISQUE !
- Argh !
Wufei se démena comme un diable pour chasser l'Américain suspendu à son bras. En vain. Duo refusa de lâcher prise. Sa ténacité l'ayant emporté face aux protestations du Chinois, l'adolescent arbora une moue satisfaite et continua d'agripper son ami.
- Par là, dit-il avant de l'entraîner vers ce qui ressemblait à un attroupement.
Heero s'était chargé de répartir les groupes sans tenir compte de l'envie presque tangible de Trowa d'être avec Wufei. C'était peut-être mieux ainsi. Duo n'était pas certain que lui ou le Chinois auraient su gérer l'angoisse latente du pilote de Wing.
Heero aimait Quatre, à en perdre la raison.
Trowa saurait garder la tête froide si le jeune homme craquait.
C'était tout ce qui leur restait, en ce moment.
- Maxwell, quel est ton problème ? soupira le ténor de Wufei à son oreille.
Il recula, surpris.
- Pourquoi tu dis ça ? fit-il, haïssant le tremblement de sa voix.
Les yeux noirs, si doux quelques secondes auparavant, se durcirent.
- Parce que tu es en train d'enfoncer tes ongles dans mon bras, baka.
- Oh... désolé... pas fait exprès...
Duo prit une profonde inspiration, désespérant de calmer le sentiment de panique qui ne cessait de grignoter son assurance.
Pourquoi se sentait-il si démuni, si mal à l'aise ? Etait-ce réellement le quartier, dont les murs paraissaient vouloir se refermer sur lui et l'obscurité le happer ? Ou bien n'était-ce que le reflet de la disparition de Quatre ?
Ou ces... créatures qui peuplaient les rues, tout simplement.
- On dirait l'entrée d'une sorte de club, dit Wufei d'un ton méprisant. Je doute fort que l'on rencontre Winner dans un lieu pareil. Cherchons plus loin.
- Non ! fit-il, pris d'une soudaine intuition.
- Quoi ?
Wufei lui jeta un regard empli d'incompréhension.
- Enfin Maxwell, tu ne penses tout de même pas...
- On essaie d'entrer.
- Mais je ne veux pas...
- Wu-man, il est peut-être là. Tu ne veux quand même pas passer à côté de lui parce que tu auras eu la trouille !
Il eut la drôle d'impression que les yeux du pilote d'Altron lui sortaient des orbites.
- Qu'est-ce que tu oses insinuer ? Que j'aurais peur ?! s'étrangla Wufei.
- Moi ? Pas du tout, répliqua-t-il, pur et innocent comme les premières neiges sur le mont Fuji.
Je passe beaucoup trop de temps auprès de certain Japonais, moi...
Il fut presque à deux doigts de remercier Satan et ses démons de les avoir pourvus d'une petite taille comme ils se glissaient sans peine entre les jambes des clients du club, bar ou quoi que ce fût.
Etouffant soudain un cri de douleur, il porta la main à son nez, qu'il venait de râper contre une botte cloutée. Wufei, à quatre pattes derrière lui, le heurta sans ménagement.
- Maxwell, qu'est-ce qui te prend de t'arrêter ? grommela-t-il.
- Be suis fait bal ! protesta Duo, ses doigts tâtant toujours son nez.
- C'est pas vrai !
- Hé, qu'est-ce que tu... de be tire pas par ba tresse ! C'est pas une laisse, que je sache !
Ils atteignirent enfin l'entrée et profitèrent d'une altercation entre le videur et des clients visiblement indésirables pour pénétrer à l'intérieur.
D'abord le noir le plus complet... puis la chaleur, survenant par vagues jusqu'à lui, imprimant à son corps un mouvement de recul... les bruits de basse enfin, accompagnés du rythme de la batterie, lancinant et maladif comme de multiples coups de poignard... était-ce l'accord d'un orgue qu'il venait d'entendre ?
A peine eut-il passé le long couloir qui avait des allures de crypte qu'il fut plongé dans un univers tout autre, fait de ténèbres et de musique, mais auquel il s'attendait malgré tout.
- Gare à tes fesses, Wu-man, chuchota-t-il en se tournant vers son camarade.
Ce dernier lut l'avertissement sur les lèvres de Duo plus qu'il ne l'entendit.
- Pourquoi ? fit-il en portant comiquement ses mains derrière son dos.
- On est entrés chez les Goths, imbécile !
- Les quoi ?
Il ne lui fut pas donné le temps de répondre. Déjà une femme se dirigeait vers eux, un sourire éthéré aux lèvres. Le dégoût qui irradia de Wufei lorsqu'il l'aperçut fut presque palpable.
Duo, lui, se contenta de lui rendre son salut.
- Nouveaux ? murmura la voix soyeuse contre son cou, ses accents à la fois sombres et mélodieux luttant contre la domination sans partage des sons que déversaient les baffles dans la salle.
Duo acquiesça, sa bouche figée en un sourire inquiet. Il chercha la main de Wufei et la serra dans la sienne.
Je n'ai pas peur je n'ai pas peur JE N'AI PAS PEUR !!!
D'ailleurs, pourquoi serait-il effrayé ? Il ne s'agissait après tout que de bandes d'ados mal dans leur peau ou de marginaux complètement décalés... voire défoncés... Aucune des histoires racontées il y a si longtemps par ce gamin n'était vraie. Juste des paumés avides de sensations morbides.
Son regard fut une nouvelle fois captivé par le bleu pâle des yeux de la jeune femme - car elle était jeune, cela il pouvait le voir malgré le maquillage outrancier. Ses longs cheveux d'or blême rasés sur un côté pendaient comme des fils d'araignées sur son corset trop serré, souffrance ô combien inutile pour affiner sa silhouette anorexique.
Elle ressemble à une fleur malade... songea-t-il en lâchant un soupir comme une main gainée de dentelle caressait sa poitrine.
- J'aime tes cheveux, souffla-t-elle, et ses doigts s'accrochèrent brusquement à sa tresse, faisant couler entre les phalanges la matière plus douce que de la soie.
Il eut immédiatement envie de lui faire mal, si mal ! La rejeter loin de lui ! S'il Vous plaît, qu'elle ne touche plus ses cheveux !
- Ne fais pas ça ! dit-il, l'améthyste de ses yeux revêtant l'éclat le plus froid.
Personne, personne ne touchait à ses cheveux !
- Maxwell !
Le cri de Wufei le ramena à la réalité, lui faisant prendre conscience qu'il broyait la main du petit pilote. Il relâcha aussitôt sa poigne sur son ami, un air de regret sur le visage.
- On s'en va, Maxwell, dit Wufei, suppliant.
- Ouais... on s'en va...
Il s'extirpa de l'étreinte de la jeune femme et s'épousseta distraitement tant il lui semblait encore sentir ses caresses ramper sur son torse.
Ils se frayèrent un chemin vers la sortie, évitant avec soin tous ceux qui semblaient prêts à les aborder.
Comme cette femme... quelle horreur... elle avait l'air de sortir d'un vieux film d'épouvante.
- Kami-sama...
Un souffle, à peine plus fort que sa propre respiration.
Il se tourna vers Wufei.
Celui-ci regardait une fleur blanche semblable à une étoile, lovée au creux de sa main.
Est-ce que c'est... de la peur... dans ses yeux ?
- Wu-man, c'est qu'une fleur ! lâcha-t-il d'un ton faussement désinvolte.
Tu n'as pas peur d'une innocente petite fleur, n'est-ce pas Wufei ?
- C'est... c'est... un asphodèle !
Le garçon riva son regard éperdu vers lui, ses doigts se crispant sur les délicats pétales.
- Elle est morte dans un champ d'asphodèles ! s'écria-t-il.
- Elle ? De quoi tu parles, Wu-ma... Wufei ! s'exclama-t-il en voyant l'autre courir dans la mauvaise direction.
Il voulut le rattraper et se mit à bousculer toute personne lui barrant le passage.
- Fais un peu attention, dit une voix près de lui.
Refusant d'en tenir compte, il poussa de plus belle.
- J'ai dit : fais attention, répéta la voix. Tu ne sais pas écouter quand on te parle ?
Lorsqu'il chercha à se dégager, on l'empêcha de jouer des coudes. Trois devant, un derrière, et cette voix qui n'en finissait pas d'éveiller en lui un sentiment de panique ancestrale.
- J'exige des excuses, ordonna celle-ci, suave et dangereuse.
Retenant son souffle, il leva la tête. Et la voix s'incarna en un jeune homme penché vers lui, au visage félin traversé d'une cicatrice sur la joue gauche et au rictus menaçant.
- Allez, fais tes excuses.
Il expulsa brusquement l'air de ses poumons comme un poing s'enfonçait dans son estomac... un poing bardé de métal... la douleur fut atroce... brûlante... perçante...
- Je déteste les morveux dans ton genre, déclara le jeune homme avant de tourner les talons, ignorant le corps de Duo qui, abandonné par ses comparses, s'effondra par terre.
Il se roula en boule, les paupières closes et les bras convulsivement resserrés autour de ses genoux. Fermé au monde extérieur. Refoulant la souffrance et la peur.
Et lorsque des cris surgirent autour de lui, il ne réagit pas.
Lorsque son agresseur fut à son tour projeté au sol, il n'ouvrit pas les yeux.
Lorsqu'une main se posa sur son épaule, le secouant doucement, il l'ignora.
* * *
Il lui sembla qu'il était transporté entre des bras puissants, blotti contre une poitrine indéniablement masculine. Quelque chose ne cessait de chatouiller son nez éraflé. Il osa enfin ouvrir un œil... une mèche de cheveux !
Duo fut tenté de se débattre et de s'enfuir, croyant reconnaître la couleur platine de la chevelure, mais il se souvint presque aussitôt qu'il s'agissait d'un homme, pas de la femme étrange qui lui avait joué son petit numéro à son arrivée.
- Dans quel guêpier t'es-tu encore fourré, 02 ? soupira l'homme que son esprit identifia comme son sauveteur.
Ce dernier le déposa délicatement sur une banquette, à l'abri des regards indiscrets.
- Tu as encore mal ? demanda-t-il encore.
- A ton avis... pesta Duo en se recroquevillant sur lui-même.
- Bois ça.
- Un remède miracle pour faire passer la douleur ?
- Non... juste de quoi être sûr que tu ne me frapperas pas en me reconnaissant.
- De quoi parlez-v... Merquise ! éclata-t-il en apercevant l'autre homme.
Zechs Merquise... le meilleur pilote de OZ devenu l'ambassadeur Peacecraft puis le leader du White Fang se tenait à ses côtés, un pli soucieux barrant son front sous sa longue frange.
- Je ne suis pas venu seul, Merquise, avertit Duo en se rencognant le plus loin possible du grand blond. Ils attendent à deux pas de là, et si je ne reviens pas...
- Si tu parles de 05, il est parti depuis belle lurette retrouver le reste de votre troupe. Quant aux autres, ils cherchent le cinquième, celui que vous avez malencontreusement égaré.
- Comment sais-tu... murmura Duo, médusé.
Zechs ne répondit pas de suite, préférant d'abord s'installer aux côtés de l'adolescent sur la banquette.
- Je vous ai suivis, dit-il enfin. Je vous ai suivis depuis votre soi-disant exploit, jusqu'à ce quartier. En toute sincérité, atterrir ici n'était pas l'idée la plus brillante que vous ayez eue.
- Merci bien, je m'en suis rendu compte tout seul... Attends, tu nous suivais ?
- Et vous ne vous en êtes même pas rendu compte, termina Zechs, devinant les pensées du garçon en face de lui. Bois maintenant.
Trop abasourdi pour réagir, Duo prit le verre que lui tendait l'autre homme et le porta à ses lèvres.
- Est-ce que c'est un poison ? Ou peut-être une sorte de sérum de vérité ? grogna-t-il avant d'avaler la première gorgée.
- Juste un peu d'alcool, dit Zechs en réprimant un éclat de rire. Ta méfiance confine à la paranoïa, 02.
- Il faut bien, si on veut survivre un jour de plus...
- Touché, sourit Merquise.
- Et à propos, ne m'appelle pas 02. J'ai l'impression d'être un robot fabriqué en série.
- Comme tu veux, Maxwell.
- Duo ! s'écria-t-il, exaspéré. Seul Wu-man a le droit de m'appeler Maxwell.
- Et toi tu as le droit de l'enquiquiner à mort, si j'ai bien compris.
Duo laissa quelques gorgées douloureuses glisser jusqu'à son estomac, fermant un bref instant les yeux pour ne pas voir la brume qui envahissait son champ de vision.
- Comment se fait-il que tu saches autant de choses sur nous... hein, Merquise ?
- Appelle-moi Zechs, exigea le blond en lui prenant le verre de ses mains tremblantes pour le poser sur la table.
- Tu n'as pas répondu...
- J'y viens.
Il entendit le froissement du pantalon de cuir que portait le pilote de Tallgeese lorsque celui-ci croisa ses longues jambes.
- Treize s'intéressait beaucoup à votre cas, reprit Zechs. Il me faisait collecter la moindre information vous concernant.
- Vraiment ? J'aurais préféré t'entendre dire que tu étais devenu notre groupie et n'osais pas nous approcher pour demander notre autographe.
- Ah, l'humour signé Shinigami !
- Je pourrai te donner le mien sur une serviette en papier si je ne vomis pas dedans... j'ai l'impression que ce type m'a écrasé les intestins...
- Je t'accorde que Joakim n'y est pas allé de main morte, avoua Zechs.
- Tiens donc, tu le connais ? Ça devient de plus en plus intéressant. Quand est-ce que tes sous-fifres vont arriver et m'embarquer, direction le gibet le plus proche ?
- Je suis venu seul, Duo.
- Comme si j'allais te croire.
Les bras toujours enroulés autour de son torse, Duo fit mine de se lever. Cette conversation, si c'en était bien une, prenait un tour qui lui déplaisait au plus haut point. Et Zechs Merquise demeurait seulement à quelques centimètres de lui, ses yeux bleu acier perdus parmi la foule en transe qui ondulait en suivant la musique.
Comme il semblait différent de l'officier exemplaire cependant, avec ses habits noirs que le Shinigami lui-même n'aurait pas reniés, le cuir rêche et usé se frottant à la soie fragile de la chemise au col défait, laissant apparaître la chair pâle de la gorge...
Hé Maxwell, à quoi tu penses ?
Il devait pourtant reconnaître que la beauté irréelle et séduisante de cet homme le fascinait au moins autant que la force et la tristesse qui émanaient de ses traits.
Une pensée folle et stupide lui traversa soudain l'esprit. Il la chassa d'un hochement de tête, souriant malgré lui de s'être demandé quel démêlant pouvait bien utiliser le blond pour la luxuriante masse de cheveux qui cascadait sur ses épaules.
Et moi, Zechs ? Que suis-je à tes yeux ?
Le Dieu de la Mort qui fauche la jeunesse de tes soldats ?
Non... il n'y a pas en toi la crainte que suscite le Shinigami.
Peut-être ne suis-je alors pour toi qu'un enfant, pas encore un homme...
Oui, c'est cela, un gosse capable de tuer et qui élève dans ton cœur tant de questions !
- Que veux-tu de moi, Zechs ? s'enquit-il d'une voix lente, redoutant en même temps la réponse.
- Qu'est-ce qui te fait dire que j'attends quelque chose de toi ?
- Peut-être le fait que je me retrouve à ta merci.
- Ridicule, tu es libre de partir quand tu le désires. Je te conseillerai même de le faire le plus tôt possible, avant que Joakim ne revienne à la charge, par exemple.
- Sans blague. Et bien sûr, une armée est postée à la sortie, prête à me cueillir dès que je pointerai le nez dehors !
- Tu parles sans écouter, Duo Maxwell. Je t'ai déjà dit que j'étais seul. Enfin... presque.
- Ah ! Tu vois ! s'exclama-t-il d'un ton qu'il aurait qualifié de triomphal s'il ne s'était trouvé en si mauvaise posture.
Zechs se contenta de lui sourire. Et se serra contre lui comme une autre personne s'asseyait à sa droite.
- J'ai vraiment droit à la crème de la crème, ce soir ! grinça Duo en identifiant la nouvelle venue. Tu as manqué ton Wuffie préféré de peu, Lulu.
Noin lui adressa un regard indifférent, toute son attention concentrée vers son supérieur.
- Ça y est, tu as fini de jouer avec le gamin ? On peut s'en aller maintenant ?
- Fais gaffe Lulu, souviens-toi de ce qui t'est arrivé la dernière fois que tu as traité de gamin un pilote de Gundam... boum ! chuchota Duo en se penchant vers elle.
- Surveille ta langue si tu ne veux pas la perdre, 02 ! répliqua la jeune femme.
Duo ne put s'empêcher de remarquer l'apparence de Noin, tout aussi étrange que celle de son compagnon. Outre les reflets violets dans ses courts cheveux noirs et le khôl qui soulignait la dureté de ses prunelles, elle exhibait un tatouage d'encre noire, visible au-dessus de son décolleté ravageur.
- On dirait... un lézard ! laissa-t-il échapper.
- C'est une salamandre. Et lève la tête, 02. C'est pas de ton âge, avertit Noin.
- Tu ne le connais même pas, mon âge !
- Quinze ans et des poussières. Satisfait ? Maintenant, tu regardes ailleurs !
- Ça suffit, vous deux ! intervint Zechs d'une voix impérieuse.
L'ex-capitaine des forces de l'Alliance lui dédia un regard à la fois doux et concerné.
- Tu penses pouvoir rejoindre tes camarades tout seul ?
- Je suis fort, Zechs. Et un survivant, qui plus est. Je n'ai que faire de ta compassion, murmura Duo.
Voulait-il paraître aussi cruel qu'il venait de l'être ? Il ne désirait pas même répondre à cette question.
- Zacharias, fit Noin à nouveau. Viens, on se tire...
- Zacharias ? s'amusa l'Américain.
- Mon nom dans ce monde, répondit le blond en se levant. Mais tu as le droit de continuer à m'appeler Zechs.
- Ou Zechsy... plaisanta-t-il à voix basse.
- Nous ne sommes pas assez intimes pour ça, Duo.
- Rien ne nous interdit de le devenir, dit-il, hors de portée de Noin.
Zechs lui lança un sourire où il décela une pointe d'amusement.
- Lucina a raison, tu es encore trop jeune, lui dit-il en écartant ses mèches brunes de son front.
Duo frissonna au contact des lèvres qui effleurèrent soudain sa peau.
- Qui est Lucina... oh, réalisa-t-il en voyant Noin qui attendait impatiemment non loin d'eux. Encore un surnom de ce monde... J'ignorais que Zechs Merquise et Lucrezia Noin appartenaient aux Goths.
- La vie se révèle chaque jour pleine de surprises, Duo.
- On dirait l'une de mes devises... Hé Zechs ! appela-t-il comme l'autre s'éloignait. Est-ce que... ça te gêne de me raccompagner jusqu'à la sortie ?
Zechs lui sourit une dernière fois en l'aidant à se mettre debout.
* * *
L'air frais de la nuit fouetta son visage une fois qu'il fut dans la rue, loin du club et de son atmosphère viciée. C'était à peine s'il prit conscience de Noin et Zechs qui, après s'être assurés qu'il allait bien, le quittèrent sans un mot de plus.
Où suis-je... susurra son esprit engourdi. Ah... le club. Et... Wu-man... l'asphodèle... douleur dans mon ventre... Zechs.
Ses yeux mauves se voilèrent de mélancolie.
Trop jeune, n'est-ce pas ? Mais au fond, qu'en sais-tu ?
Il se roula dans la chaleur toute relative de son pull et commença à marcher d'un pas incertain.
Ce sera la question à un million que je ne manquerai pas de te poser à notre prochaine rencontre... Pour le moment, je dois retrouver Quatre... et les autres, aussi.
~Fin~