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AC 206
par Erynna
Première partie
Trowa Barton sentit une goutte de sueur glisser le long de sa tempe, traverser sa pommette, suivre la courbe de sa mâchoire et perler au bout de son menton. Il avala péniblement sa salive et s'obligea à ne pas bouger d'un millimètre. Chose difficile, car il lui semblait que son cœur battait au rythme des roulements de tambour et menaçait à tout instant de jaillir de sa poitrine pour se faire la malle.
Il était attaché à la grande roue qui tournait, tournait sans discontinuer.
Et Catherine le visait.
Avec à la main une bonne douzaine de couteaux dont la lame effilée captait la lumière des projecteurs.
Et Catherine avait bu.
D'accord, elle venait de se faire larguer en beauté par le trapéziste. Mais comme ils en étaient à leur cinquième rupture en l'espace de deux mois, il y avait encore de l'espoir, non ?
Il avait tenté de faire partager à sa sœur ce point de vue qu'il trouvait plein de bon sens. Mais au lieu de l'écouter, elle avait descendu la première chose qui lui était tombée sous la main. A savoir une bouteille de vodka.
Dieu merci, elle n'était pas pleine, pensa-t-il en regardant les doigts tremblants de Catherine avec un brin d'appréhension.
La jeune femme brandit un couteau, cligna des yeux et tira la langue en une parodie de concentration. Son pied gauche glissa légèrement sur le sable tandis qu'elle prenait appui. Elle ramena ses épaules en arrière et s'apprêta à lancer…
Imitant les spectateurs qui entouraient la piste, Trowa retint sa respiration.
Le poignard alla se ficher dans le panneau de carton à hauteur de son regard, coupant net deux ou trois cheveux au passage. D'autres suivirent aussitôt, avec une telle rapidité que lui-même n'eut pas le temps de les voir venir.
C'était fini.
Il poussa un imperceptible soupir de soulagement en constatant qu'aucune lame n'était venue s'enfoncer dans une partie vitale de son anatomie. Deux assistants s'empressèrent de le délivrer et, s'avançant vers son public, il le salua comme il se devait.
Catherine s'effondra dans ses bras lorsqu'ils furent dans les coulisses.
- Le salaud ! brailla-t-elle de sa voix d'ivrogne. Je vais lui faire bouffer son trapèze, moi !
- Ça va ? demanda anxieusement l'un des acrobates à Trowa.
Le jeune homme acquiesça silencieusement, ne sachant plus s'il devait être choqué par la tournure tragique qu'aurait pu prendre le numéro, ou par l'état désolant dans lequel se trouvait sa sœur.
Il jugea préférable de raccompagner Catherine jusqu'à sa loge et l'y laissa aux bons soins d'une amie. Puis il regagna la sienne et poussa la porte d'un geste las.
Son reflet dans le miroir lui jeta un regard vaguement désabusé. A présent que ses cheveux étaient courts, plus rien ne pouvait cacher son visage… à l'exception du maquillage qui avait commencé à fondre sous l'effet de la chaleur. La transpiration faisait luire son torse aux muscles finement ciselés. Le pantalon bouffant et chamarré qui constituait l'unique pièce de son costume était plus froissé que jamais.
Il se laissa tomber sur un siège, épuisé. La douche pouvait bien attendre cinq minutes.
Un grattement à la porte lui fit tourner la tête. A peine eut-il murmuré un "entrez" peu amène que deux petits êtres firent leur apparition et trottinèrent vers lui en criant :
- Le clown ! Le clown ! C'est le clown, papa !
Deux petites filles, deux adorables jumelles s'agrippèrent à ses jambes de leurs mains minuscules. Il les laissa faire, amusé. L'une était vêtue d'une robe bleue à volants et portait des couettes qu'elle secouait à tout va, l'autre avait une robe jaune et des barrettes dans ses fins cheveux noirs. Leurs visages présentaient des traits délicats, asiatiques et définitivement familiers.
- Wufei.
Il salua l'homme adossé au chambranle de la porte.
- Ça faisait longtemps, Barton, dit le Chinois avec un grand sourire.
Le Chang Wufei qui se tenait devant Trowa n'avait plus rien à voir avec le pilote de Shenlong qu'il avait connu, dix ans plus tôt. Il se souvenait d'un adolescent de quinze ans, solitaire, colérique et intransigeant, qui semblait tout droit sorti de quelque épopée médiévale.
Son ami - car il était bien son ami, n'est-ce pas ? - semblait plus décontracté que jamais, avec les baskets à la mode, les jeans noirs incroyablement moulants et la chemise blanche qui flottait autour de lui, le bouton du col défait. Sans compter ses cheveux courts et coiffés en brosse qui le rendaient encore plus attirant. Son esprit enregistra tous ces détails avec une évidente approbation.
- Wufei, répéta-t-il, agréablement surpris.
- Avoue que tu ne t'attendais pas à me voir ! s'exclama celui-ci en éclatant de rire. J'ai entendu dire que ton cirque était sur L2, et comme j'étais de passage avec les petites, j'en ai profité pour voir comment tu allais. Belle performance, à propos ! Quoique ta sœur ait eu l'air… un peu…
Il fronça les sourcils, hésitant manifestement à aborder le sujet. Plein de tact et de délicatesse, comme toujours, songea Trowa.
- Complètement ivre, je ne te le fais pas dire. Peine de cœur, expliqua-t-il en haussant les épaules. Ce sont donc tes filles ?
- Ling et Mei, annonça Wufei avec une fierté toute paternelle. Elles ont quatre ans.
- Elles sont mignonnes.
Il ébouriffa la chevelure de la plus proche, et la petite fille, fermement accrochée à son mollet, se mit à ronronner comme un chaton.
- Sally est avec toi ? demanda-t-il poliment.
A voir la mine triste de l'ex-terroriste, il sut qu'il avait fait une gaffe. Wufei et Sally s'étaient mariés deux ans après l'armistice. C'était d'ailleurs à l'occasion de leur mariage qu'ils avaient tous été réunis pour la dernière fois.
- Sally et moi… sommes en instance de divorce, avoua l'autre en baissant la tête.
- J'en suis navré, compatit Trowa.
- Bah, c'est la vie ! Et puis ça ne pouvait pas durer.
Le Français hocha la tête en silence. Il voyait combien l'affaire gênait son ami, et lui-même n'était pas du genre à poser des questions indiscrètes… à poser des questions tout court, en fait. L'apparition inattendue de Wufei avait eu néanmoins pour effet de dissiper la torpeur dans laquelle il menaçait de sombrer et, rendant les petites à leur géniteur, il se dirigea vers le cabinet qui lui servait de salle de bains.
- Accorde-moi cinq minutes et je vous amène tous au restaurant, d'accord ?
- On va au Mac Do ! hurla de joie la jumelle en bleu.
- Toi ma grande, murmura son père en la soulevant dans ses bras, j'aurais dû t'appeler Duo !
* * *
- Alors ce n'était pas une simple visite de courtoisie, constata Trowa avant de prendre une gorgée de vin.
- Tu es fâché ? Ah, Mei-chan, je t'avais dit de manger proprement !
Wufei se pencha vers la fillette dont le devant de la robe jaune s'ornait d'une grosse tache de sauce. Il humecta le bout de sa serviette et commença à le frotter vigoureusement sur le tissu. Mei se mit à gigoter en riant nerveusement.
- Ça chatouille ! dit-elle d'une voix aiguë.
- Ne bouge pas, gronda son père. Regarde, ta robe est fichue… Liiinnng !
Trowa observa avec amusement l'ex-redouté pilote de Nataku aller d'une jumelle à l'autre. L'amour, l'adoration qu'il éprouvait pour ses filles sautaient aux yeux. Et, curieusement, réchauffaient son cœur esseulé… Hé, le Dragon Solitaire, ce n'était pourtant pas lui !
Au moins, l'un d'entre nous se sera rapproché de ce qu'on appelle le bonheur, songea-t-il.
Cinq minutes plus tard, Wufei se renversait sur le dossier de sa chaise, en ayant enfin terminé avec le nettoyage et autre débarbouillage.
- Ta présence est nécessaire, tu sais, dit-il au Français. Après tout, il s'agit d'une cérémonie officielle.
- Je ne sais pas… Cela fait si longtemps. Huit ans, ça compte.
- Quelle importance ? Regarde-nous ! Nous ne nous sommes pas revus depuis effectivement huit ans, mais ça ne nous empêche pas de bavarder comme dans le temps… Mieux que dans le temps, devrais-je dire ! Sincèrement, je trouve que tu es devenu bien loquace.
- Toi aussi tu as changé, remarqua Trowa en souriant.
- C'est la cérémonie célébrant l'armistice, Barton. Un hommage qui ne se refuse pas ! Ils nous offriront une jolie médaille, on serrera quelques mains, et puis voilà !
- Est-ce que… les autres seront présents ?
- Eh bien, je dois passer prendre Maxwell, tant qu'on est sur L2. Et je compte bien t'amener avec moi ! Faire face à ce baka tout seul, merci bien ! Quant à Yuy, il nous rejoindra sur Terre. Pour Winner, j'ai essayé de le joindre par téléphone et par e-mail, mais je n'ai pas encore obtenu de réponse.
Trowa cacha ses mains sous la table. Il ne voulait surtout pas que Wufei remarquât le léger tremblement qui trahissait son trouble. Le seul nom du richissime héritier avait le don de lui faire perdre tous ses moyens. Qui plus est, le Chinois enfonça involontairement le clou.
- Toi ou Maxwell pourriez peut-être essayer. Après tout, c'est de vous dont il était le plus proche, non ?
Injustice ! soupira Trowa en son for intérieur.
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