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Titre : A toi ma Sumida

Chapitre 2

Rating : PG

Il se trouvait dans une salle de go et s'avança au centre. Une place libre face à un goban lui tendait les bras. Il fit face à la Lune et la salua. Il se retrouvait de nouveau là, et espéra qu'il se réveillerait avant trois jours où tous allaient s'inquiéter à nouveau à cause de lui.

Le décor lui était plus familier et le stress de leur dernière partie s'était évaporé. La jeune femme fit nigiri et il eut les blancs. Profitant de son calme retrouvé et de l'absence de sentiments physiques, il se concentra totalement sur la partie.

Alors qu'ils en étaient à peu près à la moitié, il la regarda étonné, et se demanda s'il pouvait parler. Comme elle ne disait rien, il se décida, « C'est une partie pédagogique ? »

Elle se contenta d'acquiescer.

Ils terminèrent la partie, elle lui sourit et tout disparut.

Isumi aperçut le visage du médecin devant lui et le jour baissant à travers la fenêtre.

« Vous avez dormi tout l'après-midi. »

A ces mots, Shinishiro rougit légèrement. Qu'allaient-ils tous penser après les avoir vu dans cette position ?

« Si tu te sens bien, tu peux rentrer chez toi ou passer la nuit ici. Il faudra que tu reviennes la semaine prochaine pour un check-up. »

« Je vous remercie, je vais rentrer chez moi. »

Il attendit que le docteur soit sorti et secoua doucement Waya.

« Whaaa Maman, j'ai pas d'match aujourd'hui... »

Isumi pouffa et le secoua un peu plus fort, le réveillant.

Il s'habilla et ils sortirent tous les deux. Sa mère l'attendait dehors, et leur proposa de dormir à la maison familiale, ce qui fut accepté.

A peine eurent-ils pénétrés dans la chambre qu'ils s'effondrèrent sur le lit. La mère d'Isumi les regarda dormir un instant, se demandant si elle n'avait pas mal compris leur relation, mais chassa rapidement cette pensée de son esprit. Son Shinishiro avait toujours accordé beaucoup d'importance et d'attention à ses amis, autant qu'à des frères ou sœurs et Waya était son meilleur ami...

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Même salle de go et même goban. Partie pédagogique puis réveil. Isumi commençait à s'y habituer.

`Elle a quand même un très bon niveau, cette fille. C'est pas moi qui pourrais imaginer ça... Qu'est-ce qui m'est arrivé au fleuve ? J'ai peut-être un esprit dans la tête...' Il rit de l'idée et regarda la pendule au-dessus de la porte. Onze heures. Qui aurait cru qu'il était aussi fatigué après avoir dormi trois jours ? `Enfin dormi... Ca dépend des points de vues.'

Il se leva, vérifia que Waya dormait bien et alla se doucher après avoir salué sa mère. Habillé, il réveilla son ami. Pendant que le deuxième dan se lavait, Isumi reprit sur une feuille de papier - son goban était à son appartement - sa partie de la nuit. Décidément oui, le jeu de son adversaire était excellent, celui d'une neuvième dan au moins. Il était flatté d'avoir une telle personnalité dans la tête, même si le concept de porter une maître lui était encore un peu étrange.

`Je ne sais pas pourquoi je vous vois dans mes rêves, ni pourquoi vous jouez avec moi ; mais je ne décevrai pas l'honneur que me faites,' se déclara-t-il à lui-même.

Waya et lui-même partirent ensuite à la Nihon-Ki-In, comme il voulait étudier quelques kifus d'Ashiwara avant sa partie. Ils déjeunèrent sur place.

« Comment tu te sens pour ta partie ? » Lui demanda Waya alors qu'ils prenaient l'ascenseur.

Les portes s'ouvrirent et il prit le temps de réfléchir à la question. Il était un peu stressé, bien entendu, comme avant toutes ses parties, toutefois il y avait quelque chose de différent. Il s'était affolé en découvrant les kifus du cinquième dan puis avait retrouvé par hasard dans sa poche sa feuille de papier, et repensé à sa partie. C'était la première fois qu'il faisait des parties pédagogiques sans en discuter après coup. Cependant, il avait l'impression d'avoir plus appris en trois parties qu'en plusieurs années... Elle ne portait jamais de coup offensant et lorsqu'il en tentait, Elle esquivait sans riposter ; pourtant le niveau émanait du goban. Cette manière qu'Elle avait de le forcer à l'attaquer, chaque coup semblant le porter un peu plus haut ; et surtout ce calme absolu dans chaque pierre. Différentes de toutes ses parties, sans vainqueur ni vaincu, le go devenait de la stratégie pure. C'était magnifique. Il avait repris les kifus et chercher les failles.

« Serein, » répondit-il.

Ils sortirent de l'ascenseur et entrèrent dans la salle de télévision. Ses amis étaient déjà là et de l'autre côté de la salle, le clan Meijin discutait. Bien sûr : ils devaient avoir groupe d'étude dans la soirée et Ashiwara était de plus un élève de Koyo Toya.

« Isumi, » interpella Hikaru, « Prêt pour ta partie ? »

« Faut qu'tu l'éclates ! » ajouta Waya d'un ton enjoué.

« Aussi prêt que toi il y a un an et demi, » répondit Shinishiro au premier d'un regard complice.

Hikaru comprit et lui tendit la main, qu'il prit. « Tu m'en dois une. »

« Et tu l'auras. »

« Tiens, au fait, » dit le blond, se retournant vers Waya qui ne saisissait rien à l'échange, « On est passé à l'hôpital hier. Tu te trouvais dans une position très intéressante... »

Tous ceux qui comprenaient l'allusion éclatèrent de rire, et Waya rougit lorsqu'il comprit, « Quoi ?! J'aurais voulu vous y voir ! J'étais crevé ! » Dit-il, feignant la colère, ce qui les fit rire de plus belle.

Isumi, rassuré que son ami aille mieux, tourna la tête pour observer son adversaire, et tomba nez-à-nez avec ...

« Kuwabara-sensei, » salua-t-il.

« Isumi-kun. On m'avait dit que tu étais dans le coma mais je constate que tu es en pleine forme, » argumenta le vieil homme avec un rictus aux lèvres qui en disait long.

Shinishiro observa un instant l'Honinbo. Quelques jours auparavant, il se serait affolé d'un tel sourire et rougi comme un débutant, mais aujourd'hui, il se trouvait étrangement calme. L'homme aimait décidément impressionner son monde. Cela pouvait d'ailleurs être une manière de s'amuser un peu...

Il rit doucement, « Disons que je vais mieux. Je vous remercie de vous inquiéter. »

Kuwabara le regarda plus sérieusement, et il n'était pas le seul : ses amis et même le clan Meijin s'était retourné. Kuwabara était réputé pour effrayer tous les jeunes, et même Ogata ne restait pas impassible face au vieux singe. Qu'un tel calme vienne d'Isumi qui était, lui, connu pour sa grande sensibilité, avait de quoi étonné même ceux qui ne l'avaient que très rarement croisé.

Le neuvième dan se reprit, « Cette partie devient tout à coup très intéressante. » Il n'ajouta pas un mot de plus et alla s'asseoir face à l'écran.

Isumi regarda sa montre, salua ses amis et quitta la pièce, bientôt suivi par Ashiwara.

« Vous avez pigé, vous ? » demanda Waya, « J'croyais qu'il avait une frousse bleue de Kuwabara, » ajouta-t-il à voix basse.

« Je pensais aussi... » Lui répondit seul Ochi, d'habitude silencieux.

Hikaru, pour sa part, était parti rejoindre Kuwabara. Alors que la partie allait commencer, le vétéran se tourna vers Ogata, resté au fond de la pièce avec Akira, « Hé bien Ogata, pas de pari cette fois ? Ca m'amuserait beaucoup que tu choisisses Ashiwara ! »

« Vous avez tellement confiance que ça ? » demanda l'homme, allant s'asseoir et allumant une cigarette, « Ashiwara et bon, » finit-il, légèrement vexé que l'on puisse penser si bas de quelqu'un qu'il considérait comme son propre élève depuis que le Meijin avait quitté les professionnels.

« Appelle ça l'instinct, gamin. » Kuwabara sourit de toutes ses dents.

Ashiwara posa la première pierre.

`Ce n'est pas un débutant, il est pro depuis plusieurs années et l'élève du meijin. Il connaît les techniques des maîtres et son jeu est très réfléchi. Si je veux le battre, je ne dois pas me contenter d'une simple défense donc soit je l'attaque, soit...' Isumi se permit un sourire imperceptible et plaça sa pierre.

Dans la salle de télévision, les discussions fusaient à chaque coup qui s'ajoutait, « Mais pourquoi il joue là ? Il pouvait l'attaquer sur le bord droit ! » Cria presque Waya à l'un d'entre eux.

« On dirait qu'il ne cherche pas à attaquer... mais ce n'est pas comme s'il défendait non plus... » Pensa tout haut Hikaru.

« Sensei ? Que fait-il ? » Demanda Akira, « Ashiwara joue bien, mais il a laissé plusieurs ouvertures depuis le début. Isumi aurait pu s'en servir. »

Ogata écrasa dans le cendrier la cigarette qui se consumait seule dans sa main, « J'avoue ne pas très bien comprendre non plus. » `Ce qui est sûr, c'est que cet Isumi n'a pas le niveau d'un premier dan, même loin de là. Le vieux singe savait-il qu'il était aussi doué ? Pourtant Ashiwara a dit que son adversaire perdait toutes ses parties depuis des mois... Je pensais devoir me méfier de Shindo mais celui-ci a l'air tout aussi dangereux...'

Ashiwara abandonna au bout d'une heure de jeu, « Merci pour la partie. »

Alors qu'ils rangeaient les pierres, il regarda son adversaire, dont les cheveux tombaient à moitié dans les yeux. `J'avais l'impression de jouer une partie pédagogique contre Ogata... Pourtant tous les kifus que j'ai vu de lui sont mauvais, même si on y décerne un certain talent. Je vais encore me faire rappelé à l'ordre par le meijin...'

Lorsqu'ils sortirent de la pièce, Isumi fut tout de suite abordé par ses amis, « Mais qu'est-ce que tu foutais ? » questionna Waya.

Shinishiro lui répondit par un sourire, signifiant qu'il ne dirait rien. Waya soupira. Ils allaient partir quand Kuwabara les aborda, suivi par Ogata.

« Très belle partie, Isumi-kun. Dis-moi, puisque tu es devenu si doué, tu as bien le temps de venir boire un verre autour d'un goban avec moi ? » Invita le vieux en ricanant.

« Je vous remercie, Kuwabara-sensei, mais je vais rentrer me reposer. » `Et jouer quelques parties pédagogiques de plus...' déclina poliment le jeune homme. Le regard d'Isumi se porta alors sur Ogata. C'était la première fois qu'il le voyait d'aussi prêt, et surtout, que l'homme posait les yeux sur lui. Il se rendit soudain compte qu'il était malpoli et salua, « Ogata-sensei, » en rougissant légèrement de son injure.

Il releva la tête et vit Ogata le saluer, continuant de le dévisager sans un mot, `Pourquoi me regarde-t-il comme ça ? J'ai joué si bizarrement ? Il m'en veut pour Ashiwara ? Ah ces yeux ! J'ai l'impression qu'il sait tout ce que je pense, mais c'est impossible. Kuwabara ne me gêne plus, je ne devrais pas avoir peur d'Ogata...'

« C'était un beau jeu, » furent les seules paroles du neuvième dan. Il tourna ensuite les talons et partit, suivi d'Akira et d'Ashiwara.

Kawabara se mit à rire lorsqu'ils eurent disparus, « Isumi-kun, tu as impressionné le grand Ogata Judan ! »

« A... Ah ? » Bégaya-t-il, espérant que cela ne se remarque pas trop. `Quel charisme,' pensa-t-il alors que son cœur se calmait, `Cet homme est... impressionnant.'

« Je vais rentrer. Bonne soirée, » finit-il en partant rapidement.

Il n'entendit pas Kuwabara murmurer, « Tiens, tiens, voilà qui pourrait être amusant à observer... »

Isumi rentra à son appartement avec Waya qui venait finalement passer la nuit chez lui. Il prit une douche et en sortit juste à temps pour recevoir l'appel de Narusawa-sensei qui le complimenta. Isumi en profita pour remercier son maître de toute l'attention qu'il lui avait porté ces derniers mois ; avoir un élève dépressif n'étant probablement pas ce qu'un professionnel peut souhaiter de mieux...

Enfin, il se retrouva face à Waya,

« Maintenant, tu vas peut-être m'expliquer ce que tu as joué. Même Ogata ne comprenait pas, » lui demanda-t-il d'un ton où les reproches se sentaient à peine, camouflées par une curiosité apparente.

Isumi toussota, « C'est... Tu vois... Depuis que je suis tombé dans le fleuve, à chaque fois que je m'endors, je me retrouve en face d'une fille qui me fait faire des parties pédagogiques. » Il laissa à son ami le temps d'assimiler.

« Une joueuse de go ? Oui, pourquoi pas, ensuite ? » Quémanda le jeune d'un ton dubitatif.

« Waya ! Je te jure que c'est vrai ! » Insista-il, blessé.

L'interpellé le regarda tendrement, « Je m'en doute bien. Tu es trop gentil pour mentir. Je suis désolé d'avoir répondu si brusquement, tu peux continuer. »

« Je disais donc qu'elle me fait faire des parties pédagogiques. C'est elle qui utilise cette méthode un peu bizarre dont j'ai usé contre Ashiwara. »

« Méthode ? »

« Oui, c'est... Elle n'attaque pas et elle ne défend pas vraiment, cela ressemble plutôt à une sorte d'esquive en continue. Tu pourrais dire défense et esquive, c'est pareil, mais lorsque tu as vu quelques parties, tu comprends toute la différence. On dirait un corps tombé dans le fleuve qui n'arrive ni à l'attraper, ni à en sortir. Je suis clair, là ? »

« Non. »

Au moins c'était direct comme réponse. « Bon. Je vais te montrer ma partie de cette nuit, tu vas comprendre, » et il sortit le papier maintenant tout froissé de son blouson.

Waya y passa quelques minutes et releva la tête, « Bizarre. »

« N'est-ce pas ? Au début, je pensais que c'était moi qui rêvais, mais le niveau est bien trop haut, ça ne peut pas être ça. Waya, je pense que j'ai un esprit dans la tête. »

La garçon regarda les yeux bleus de son ami, « Et donc si tu t'endors là, tout de suite, tu dis que tu vas jouer en rêve une partie contre un esprit ? »

« Hum. Oui, c'est ça, enfin je suppose que je jouerais une partie, peut-être que cela ne marchait que trois fois. »

« Trois ? Vois-tu, Shin-chan, ce qui me gêne dans cette histoire, ce n'est pas le fait que tu penses avoir un esprit dans la tête. Je ne suis pas contre cette théorie, du tout. Ce qui m'embête, c'est que tu penses avoir été capable d'assimiler une telle technique en trois fois. Comme je te l'ai dit, et comme te l'a affirmé Kuwabara, même Ogata a été épaté par ce truc. Ogata Judan ! Ce qui veut dire que ce n'est pas un tour de débutant. A mon avis, c'est quelque chose qui nécessite plusieurs années d'apprentissage. Isumi, je suis désolé, mais je pense que tu joues vraiment contre toi-même. »

« Mais je n'ai pas ce niveau, » reprit Shinishiro.

« Tu n'avais pas ce niveau, mais tu as toujours été très bon, Narusawa le répète assez souvent. Kuwabara était intéressé par ton jeu même lorsque tu perdais tes parties et Morishita espérait beaucoup de toi. Ca fait pas mal de coïncidences, tu ne trouves pas ? »

Isumi regarda le ciel rouge à travers la fenêtre de la chambre, « Peut-être. Je n'avais pas vu les choses de cette façon...», il ne dit rien quant à son étonnement qu'une telle réflexion vienne de Waya.

« Ecoute, on va aller dormir, et demain matin, on verra de quoi tu as rêvé, d'accord ? »

Shinishiro soupira, « Bien. Je te raconterais la partie. »

Il éteignirent et s'endormirent profondément.